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The President’s Last Bang : Im Sang-soo (2005)

2025

A little history

Pur produit militaire, Park Chung-hee (1917-1979) fait carrière dans les armées japonaise et coréenne avant qu’un coup d’état ne lui permette de prendre les commandes de la République de Corée en 1960. Elu président en 1963, réélu en 1967 et en 1971, Park finit par réformer la constitution l’année suivante afin d’obtenir les pleins pouvoirs. Exit le vernis démocratique, un état quasi-dictatorial, ça vous pose quand même davantage son homme. Son autoritarisme déplait de plus en plus, y compris dans son propre parti. « L’inéluctable » se produit le 26 octobre 1979 : Kim Chae-kyu, vieux compagnon de route et accessoirement directeur de la Korean Central Intelligence Agency (KCIA), lui règle son compte de deux balles dans le buffet. Park 1er laisse un héritage très controversé avec une croissance économique sans précédent d’un côté et des libertés individuelles réduites à une peau de chagrin de l’autre. Trente ans plus tard, le torchon brûle toujours entre les nostalgiques de l’ancien régime et les contempteurs du défunt despote.

15 août 1974, l’espion nord-coréen manque sa cible

The synopsis

Nous sommes le 26 octobre 1979, jour de l’assassinat du président Park Chung-hee. Ce dernier invite sa garde rapprochée à une petite sauterie, histoire d’évacuer sa morosité. Yang, son secrétaire personnel, Cha, le garde du corps en chef et Kim, le directeur des services de renseignements, festoient donc ensemble dans l’hôtel particulier de la KCIA. Sont également conviées une vedette de la chanson et une starlette, la première pour roucouler de tendres ballades à l’oreille de ces messieurs, la seconde pour apaiser la libido galopante du président. C’est au cours de la soirée que le drame éclate, provoquant une panique générale au sein de l’état-major et marquant un tournant dans l’histoire du pays.

And now guys, my most interesting review

Bang ! Bang ! Sur un mode burlesque, souvent proche de la grosse farce, Im Sang-soo dresse un portrait iconoclaste du dictateur et de ses comparses. Personne n’est épargné dans ce jeu de massacre jubilatoire et survolté. Park apparaît comme une épave ambulante dont l’agenda se résume désormais à d’interminables beuveries et une consommation immodérée de nymphettes. Avant de se faire trouer la peau, on le voit notamment ronronner sur les genoux de sa dernière conquête, tel un petit garçon pris dans les jupes de sa mère. Comme si cela ne suffisait pas, le père de la nation est également nippophile; amateur d’enka, des chants traditionnels made in Japan, il lui arrive de jacasser en japonais avec son “ami” Kim, un réflexe bien naturel pour des vétérans de l’armée nipponne (1). Yang, son secrétaire, personnifie le fonctionnaire servile et pleutre, exsudant l’obséquiosité de la tête aux pieds. Quant à Cha, brute épaisse qui distribue les baffes comme on dit bonjour, ses réflexions concernant la politique intérieure du pays laissent songeur : « Au Cambodge, ils ont tué plus d’ un million de personnes. Nous, il suffirait qu’on en tue dix mille. » Et Kim alors, est-ce avec lui que l’on tient la figure rédemptrice du film ? Pas vraiment, non. Malade du foie, atteint de constipation chronique et souffre-douleur de Cha, il semble plus impatient de se vider la tête et les tripes que de sauver le pays de ses turpitudes. Ce quatuor de choc offre un spectacle pathétique, désopilant à force de médiocrité et d’incompétence.

Car il n y a que petitesse et désordre tout au long du film. Entre un putsch mené par une équipe de Pieds Nickelés, des bureaucrates dépassés par les évènements et des militaires incapables de reconnaître le chef d’état major à l’entrée du QG de l’armée, c’est un régime en pleine déroute qui se dessine sous nos yeux. Une mise en scène léchée déploie ce thriller politique aux allures de pantalonnade. Im Sang-soo sait de tout évidence manier une caméra, nous gratifiant notamment d’admirables plans-séquences et de plongées vertigineuses. Le cinéaste coréen reconnaît volontiers qu’il s’est inspiré de la célèbre trilogie de F.F. Coppola pour planter le décor. Les couleurs sombres et chaudes de la première partie du film, la mise impeccable des protagonistes et la sobre élégance des lieux rappellent en effet l’atmosphère hiératique du Parrain. Mais il ne suffit pas d’évoluer dans un cadre feutré pour avoir la carrure de Don Corleone. Flottant dans des costumes bien trop larges pour eux, nos chefaillons excellent surtout dans la balourdise.

Au-delà de l’irrévérence burlesque, le film se veut avant tout une condamnation du pouvoir dictatorial. A travers les arrestations arbitraires, les séances d’humiliation et de torture, on comprend très vite que Park and co ont un petit faible pour la répression musclée. En ce temps béni, on s’amuse follement, surtout le soir : les rues de la capitale sont en effet désertes, couvre-feu oblige. Im Sang-soo savait pertinemment qu’en écornant l’image de sa majesté Park 1er, il créerait quelques remous au pays; il n’avait sans doute pas anticipé le tsunami qui lui est tombé sur la caboche. Son distributeur, CJ Entertainment, s’est ainsi courageusement désisté juste avant la sortie du film. Park Ji-man et Park Geun-hye, le fils et la fille de l’illustre tyran, ont obtenu la suppression des quatre minutes d’images d’archives insérées au début et à la fin (2). Quant aux conservateurs et aux progressistes, ils ont pour une fois manifesté conjointement leur mécontentement, même si c’était pour des raisons diamétralement opposées (3). Au final, le film n’a pas connu le succès escompté. Mais au fait, que montrent-elles donc de si sordide ces quatre minutes censurées? Park en nuisette, Park chevauchant l’une de ses bimbos? Vous faites fausse route! Elles comportent des clichés de manifestations étudiantes ainsi qu’un petit film consacré aux funérailles nationales du “martyr”, dans lequel on aperçoit une foule immense qui sanglote hystériquement autour du cercueil. Il y a plus compromettant comme documents. Ces quelques images révèlent en tout cas l’ambivalence de la société coréenne vis-à-vis de l’ère Park, une période trouble dont il subsiste des vestiges, notamment sur le plan économique. Car si la dictature a fait de nombreuses victimes, elle a également permis à une certaine frange de la population de prospérer. Cette coterie existe toujours à l’heure actuelle, fermement cramponnée à ses petits privilèges. Im Sang-soo a voulu réveiller les consciences, confronter le pays à son passé et à ses contradictions;  entreprise périlleuse qui lui a surtout valu une volée de bois vert. Quatre ans après la sortie du film, rien ne laisse présager que les choses se passeraient différemment aujourd’hui.

sankyo

the trailer

(1) Kim Chae-kyu a également fait ses classes dans l’armée japonaise. Un nippophile zélé puisqu’il s’est porté volontaire comme kamikaze durant la guerre du Pacifique.

(2) En 2005, Park Geun-hye est présidente du GPN, le parti conservateur coréen. Selon Im Sang-soo, sa présence dans les images d’archives du film la gêne aux entournures, elle qui nourrit alors des ambitions présidentielles et ne veut pas être associée à l’héritage de son père. D’où son recours à la justice par l’intermédiaire de son frère pour supprimer ces quelques minutes encombrantes. Cela ne suffit pas puisqu’en 2007, elle est battue lors des primaires de son parti par Lee Myung-bak, l’actuel président de la République de Corée.

(3) La droite a reproché à Im Sang-soo de traîner dans la boue le “sauveur de la nation”. Quant à la gauche, elle a trouvé le traitement de “l’infâme dictateur” trop fade. Personne n’est jamais content!

Fils d’un critique de cinéma, Im Sang-soo fait des études de sociologie puis intègre la Korean Film Academy en 1989. Sa carrière compte cinq films dont Girls’ Night Out (1998), Tears (2000), Une Femme Coréenne (2003) et Le Vieux Jardin (2007). En avril dernier, les éditions Potemkine ont eu la bonne idée de sortir The President’s Last Bang dans sa version non censurée. Une petite victoire pour le cinéaste coréen et un pied de nez à tous les ennemis de la liberté d’expression.


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