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Recette coréenne pour une censure bien ficelée

Censorship causes blindness - credit AndréiaLes événements de la semaine dernière sont un bien sombre épisode pour la liberté d’expression en Corée. Il y eut d’abord le passage épique de cette loi sur les médias qui a transformé le parlement coréen en champ de bataille. Cette loi décloisonne le secteur des médias en autorisant une même entreprise à investir à la fois dans les journaux et dans les chaines hertziennes (de façon minoritaire). A l’heure où l’information et le divertissement n’ont plus de frontière, permettre l’émergence de groupes de médias empruntant la même stratégie qu’un News Corp. ou qu’un Lagardère n’est pas complètement stupide.

Sauf que le premier effet de cette loi risque d’être non pas l’émergence d’un Lagardère coréen, mais bel et bien de tuer les quelques voix d’opposition restantes car les puissants quotidiens ou les chaebol, tous outrageusement pro-gouvernement (conservateur), vont se ruer à l’assaut du capital des chaines hertziennes nationales qui jusqu’ici gardaient une relative indépendance éditoriale.

Parmi ces chaînes nationales, MBC qui diffuse une émission d’investigation phare “PD’s Notes” (les carnets du producteur), à l’origine de nombreux scoops ou reportages dérangeants tel celui qui montre les bonnes manières des CRS coréens lors du nettoyage manu militari de Myeongdong, quartier commerçant où se côtoient jeunes couples qui font leur sortie et touristes japonais qui font leurs emplettes, sous prétexte qu’une manifestation y était prévue. Le reportage est en coréen mais il suffit de regarder les images de début de reportage pour se faire une idée:

Mais comment distinguer les touristes ou les couples en balade amoureuse des manifestants? Ben pas besoin, l’essentiel est de bien frapper partout sur tout ce qui bouge et d’embarquer le plus grand nombre possible de gens. C’est comme ça qu’un pauvre touriste japonais qui pensait profiter des faveurs d’un taux de change intéressant, profitera au final des faveurs d’une matraque et de rangers coréennes généreuses, puis des méandres hospitaliers coréens. Touriste japonais que retrouvera PD’s Note pour le faire témoigner.

Autre passage parlant, même sans comprendre: comment les CRS bloquent la sortie d’une bouche de métro du centre de Séoul, faisant enrager tous les passants pour finalement les éloigner à coups de matraque, bombes lacrymo, voire sabre de samouraï (à partir de 1:58)

Voilà, avec cette réforme des médias et les risques de perte d’indépendance des chaînes TV, on ne sait pas si  le public coréen pourra profiter encore longtemps de ce genre de programmes discordants avec les éditos qui chantent en coeur la gloire de la politique du gouvernement actuel.

Et Internet dans tout ça?

Mais pas de panique me direz-vous, car il reste toujours l’eldorado pour opposant traqué, l’ultime tribune d’expression quand toutes les autres se ferment à vos idées: Internet. Car après tout, la Corée n’est-elle pas pionnière en matière numérique? Berceau d’Ohmynews pionnier du journalisme citoyen? N’est-ce pas le pays où un blogueur a fait vaciller à lui tout seul le gouvernement?

C’est sans compter la loi anti-piratage qui vient d’entrer en vigueur la semaine dernière. Cette loi est une merveille. Comme si les souhaits les plus fous de Frédéric Lefèbvre et Luc Besson réunis avaient été entendus par des parlementaires à l’autre bout de la planète pour donner naissance à une sorte de “riposte graduée à double tranchant”. Car avec cette loi, le ministère de la Culture et des Sports peut non seulement s’attaquer à l’internaute contrevenant en lui infligeant une amende ou en lui coupant sa connexion internet au bout du troisième avertissement, mais également couper pour une durée allant jusqu’à 6 mois les serveurs de tout site permettant l’échange de contenus illégaux.

Imaginons un instant qu’aux Etats-Unis, la Federal Communications Commission puisse fermer les serveurs de YouTube pendant 6 mois parce qu’au fin fond de l’Arkansas, une ménagère aurait mis en ligne des vidéos de sa fille imitant Madonna sur fond de La Isla Bonita sans payer les droits à sa maison de disque. C’est un peu ce que risquent Naver ou Daum en Corée.

Devant l’absurdité de la situation, les parlementaires de la majorité ont récemment adouci cette loi dans une volonté de montrer qu’elle vise avant tout les pirates professionnels et qu’elle épargnera les blogs personnels ou portails. Toujours est-il qu’avec cette épée de Damoclès pesant sur les portails coréens, le gouvernement dispose d’un levier de pression puissant pour censurer tout contenu désagréable. La preuve? Pas plus tard que la semaine dernière au sujet du vote controversé de la loi sur les médias: l’excellent blog Futurize Korea nous signale sur son compte Twitter une vidéo tendant à montrer des irrégularités lors du vote de la loi: un assistant parlementaire votant deux fois pour le même député. Quelle ne fut pas notre surprise lorsqu’en cliquant sur le lien nous tombâmes sur ça:

DaumTVpod

La vidéo a été retirée par le service de partage de vidéos de Daum pour non respect des droits de tiers. Pratique.

Merci YouTube

Rassurons-nous, la vidéo est disponible sur YouTube qui d’ailleurs a fermé sa version coréenne il y a quelques mois pour ne pas avoir à se soustraire à une législation coréenne de plus en plus incompatible avec les règles que Google / YouTube se fixe en matière de respect de la confidentialité des internautes.  Mais que voit-on dans cette fameuse vidéo? Rien de très probant: un assistant parlementaire en train de bidouiller quelque chose sur un écran de contrôle.

Par contre ce qui est probant, c’est la recrudescence  de contenus coréens sur YouTube qui jusqu’ici n’arrivait pas à se faire une place au soleil, tant ses concurrents locaux (Pandora.tv, Daum, Naver etc.) étaient bien installés. Les cyber-opposants coréens peuvent dire merci à YouTube qui lui, peut dire merci au gouvernement coréen…

yonggook

Le parlement coréen s’embrase à nouveau

Décidément, les Coréens ne font pas dans la finesse. Pas étonnant qu’ils manquent de savoir-faire en matière de soft power. On les sent beaucoup plus à l’aise quand il s’agit de se mettre sur la gueule en famille. Pour preuve, cet énième pugilat ayant opposé ce matin, heure de Séoul, les députés du Grand National Party (GNP) à ceux du Democratic Party (DP). Une rixe géante, sans gants, ni courbettes, qui a transformé le parlement coréen en un véritable champ de bataille : députés du GNP agrippés au perchoir du président de l’Assemblée, députés du DP bloquant l’accès de l’entrée principale avec des chaises, corps-à-corps virils, plaquages au sol etc.

Bien sûr, on pourrait s’arrêter à ce stade; à une lecture anecdotique de cet événement comme le fait le Figaro et mettre tout ça sur le compte de l’exotisme d’une jeune démocratie lointaine où vit un peuple au sang chaud. Cette lecture ne serait pas totalement fausse mais passerait à côté de l’essentiel.

Car au coeur de la polémique réside une réforme des médias qui donnera la possibilité aux quotidiens et aux chaebol de posséder jusqu’à 30% du capital des chaines de télévision. Pour bien comprendre l’impact de cette réforme, il faut mesurer le poids des quotidiens coréens sur l’opinion publique locale et surtout des trois plus gros d’entre eux: le Chosun Ilbo, le Joongang Ilbo, et le Donga Ilbo. La clique ChoJoongDong, comme l’appelle le camp progressiste.

Ces trois quotidiens tirent chacun à plus ou moins 2 millions d’exemplaires pour une population coréenne inférieure à 50 millions d’habitants (à titre de comparaison, Le Monde tire à moins de 400 000 exemplaires). Vous imaginez donc l’impact d’un éditorial ChoJoongDong sur l’opinion publique : un impact comparable aux JT de 20h cumulés de TF1 et France 2 en France. Bien sûr, on pourrait applaudir devant la vitalité de ces journaux alors que, partout ailleurs, ils souffrent de la concurrence d’Internet, mais le problème c’est que ces trois quotidiens sont conservateurs, tous sans exception, voire ultra-conservateurs. Il y a 25 ans de cela, la seule fonction de leurs comités éditoriaux était de se réunir pour prendre connaissance des instructions envoyées par le gouvernement et ainsi savoir quel sujet traiter en Une (les chaebol et le gouvernement c’est bien, ils nous protègent contre les sales rouges, ils sont partout, faut faire attention) et quel sujet censurer (les mouvements de lutte pro-démocratiques).

Imaginez que les héritiers de ce système là prennent le contrôle des chaînes TV, alors que le web coréen est déjà sérieusement censuré. Un peu comme si en France, l’actualité nous était comptée par Le Figaro, TF1, Valeurs Actuelles et rien d’autres. On comprend alors mieux pourquoi l’opposition crie au scandale et tente d’empêcher par tous les moyens Lee Myung-bak de s’assurer le contrôle des médias.

Médias et politique, politique et médias, cela vous rappelle forcément de récents débats plus proches de nous…

yonggook and sankyo



SeoulParis en images

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