Posts Tagged 'immigration'

La Corée au Japon

800px-Shinookubo_sta1

Si vous avez un coup de blues lorsque vous êtes à Tokyo et que vous souhaitez absolument manger un Bibimbap ou que vous avez une envie irrépressible mais néanmoins légitime de manger du  Kimchi, allez sans hésiter à Shin-Ōkubo Station (新大久保駅, Shin-Ōkubo-eki) et vous trouverez de multiples restaurants coréens.

Shin- Okubo est sur la JR Yamanote line qui se situe à un arrêt de métro du quartier de Shinjuku. La station est donc relativement bien située puisqu’elle est sur la JR line (desservant les gares de Ueno et Tokyo) et qu’on est rapidement à Shinjuku, Harakuju, Ropongi ou bien encore Ebisu.

Lorsqu’on sort de la station de métro, on a du mal à croire qu’on se trouve à Tokyo car toutes les enseignes sont écrites en hangeul (caractères coréens). Ce quartier regroupe également de nombreuses épiceries coréennes, des karaokés et des bars coréens, des magasins de CD et de DVD coréens où l’on peut également trouver toutes sortes de produits dérivés à l’effigie des stars coréennes du moment.

Même en voulant prendre un café, on se retrouve dans un endroit dont le décor rappelle étrangement le drama coréen « Coffee prince ».

La raison pour laquelle nous nous sommes retrouvés dans ce quartier le mois dernier n’a pas été la nostalgie de la capitale coréenne que nous venions de quitter. Notre motivation était ailleurs : c’était la recherche d’un logement sympathique à Tokyo à un prix raisonnable. Or, à Shin- Okubo, on trouve de nombreux « Minbak » qui sont des sortes de guest houses tenues par des Coréens. La particularité de notre Minbak était que la propriétaire n’habitait pas dans les lieux, ce qui nous laissait une totale indépendance dans nos allées et venues. Cela ressemblait plus à un hôtel qu’à une maison d’hôtes. Nous étions donc dans un appartement avec plusieurs chambres, toutes occupées par des Coréens car la clientèle est forcément coréenne, les sites proposant ces hébergements étant écrits, pour la plupart, en coréen et non en anglais. Si bien qu’à l’intérieur du Minbak, tous les panneaux ou écriteaux qui expliquent le fonctionnement de l’ordinateur, de la cuisine, de la machine à laver ou bien encore de la salle de bain sont également écrits en caractères coréens!

Les prix sont extrêmement compétitifs lorsque nous les avons comparés avec ceux d’autres guest houses. On peut donc trouver une chambre pour deux, trois ou quatre personnes entre 3.000 et 4.500 yen la nuit par personne !

Ce quartier n’a pourtant pas bonne réputation auprès des Japonais. Il est considéré comme dangereux. Cette réputation vient sans doute des relations difficiles et ambiguës qu’entretiennent les Japonais avec les Coréens du Japon (et réciproquement) et qui sont dues principalement aux origines historiques de cette immigration. Les Coréens habitant au Japon, appelés Zainichi, constituent le groupe d’immigrés le plus important. La plupart des Coréens sont issus de la vague d’émigration économique qui a eu lieu au début du XXème siècle durant l’occupation de la Corée par le Japon. Puis, peu après, lors de la Seconde Guerre mondiale, face à une pénurie de main d’œuvre, les Japonais ont mené une politique de recrutement auprès des Coréens pour les faire venir travailler dans leur pays.

Bon, si cela peut rassurer certains, nous n’avons eu aucun problème lors de notre séjour. Bien au contraire, le côté populaire nous a plu en nous rappelant certains quartiers de Séoul !

sobong

Chang-rae Lee : Langue natale

leechangraeFils d’un immigré coréen qui a réussi dans l’épicerie au détail, Henry Park est la voix tourmentée de ce récit à la première personne. Un récit dont l’éclatement de la temporalité narrative ne fait que refléter l’identité elle-même fragmentée du narrateur. Qui se cache derrière Henry Park ? Telle est la question lancinante à laquelle l’intéressé s’efforce de répondre tout au long du roman.
Henry  travaille pour le compte d’une société privée spécialisée dans le renseignement : « Nous nous  présentions en tant qu’hommes d’affaires, sans plus de précision (…) En un mot, nous étions des espions (…) A la place, nous avions choisi de nous occuper des gens. Chacun de nous travaillait sur ses semblables, plus ou moins. Travailleurs étrangers, immigrés, premières générations, néo-Américains. Je m’occupais des Coréens, Pete des Japonais. »
En somme, Henry est un espion « ethnique » ; il traque des membres de sa communauté, il les trahit. Pour les besoins de ses missions, il doit s’inventer une « légende », travestir son identité. Un emploi pour lequel il se sent des prédispositions, lui qui depuis toujours avance masqué : « Je m’étais toujours dit que j’aurais pu être n’importe qui , peut-être plusieurs n’importe qui en même temps . Dennis Hoagland et sa société privée étaient arrivés au bon moment, offrant le meilleur des emplois pour la personne que j’étais, quelqu’un qui pouvait avoir sa place et en sortir à moitié quand il le souhaitait. »
La profession d’espion met en exergue l’identité trouble d’Henry dont le cadre familial et le statut d’outsider au sein de la société américaine ont  favorisé certains traits de caractère. C’est en effet de ses parents qu’ il tient cette aptitude à se fondre dans le décor:  « (…) il se conduisait comme si la ville tolérait à peine notre présence (…) Et ma mère était encore pire, elle préférait largement rater complètement un gâteau d’anniversaire plutôt que de s’infliger la plus insignifiante des hontes en allant demander à sa voisine et amie l’œuf ou la pincée de levure qui lui manquait. »
Vulnérabilité d’immigrés soucieux de s’intégrer dans le paysage américain et d’atténuer leurs différences en faisant profil bas. A travers cette pusillanimité exacerbée  se révèle la crainte d’être montré du doigt, vilipendé et rejeté. D’ailleurs, Henry a beau y trouver à redire, il n’en a pas moins intériorisé ce modèle comportemental : « Alors, qu’on dise de moi ce qu’on voudra. Un assimilé, un laquais. Un garçon consciencieux au visage étranger. J’ai déjà été tout ce que vous pouvez dire ou imaginer, toutes les versions du nouvel arrivant, toujours effrayé, amer et triste. » Autre aspect du legs familial , le masque stoïque que l’on se doit d’arborer en toutes circonstances : « Ma mère (…) pensait que l’expression des émotions dénotait une forme de manquement dans les relations entre les gens (…) A part cela, je trouvais qu’elle contrôlait admirablement les muscles de son visage. Elle semblait avoir le pouvoir de leur imprimer les mouvements les plus subtils, comme la langue déplace l’air. » Ahjuhma,  la domestique coréenne que le père fait venir du pays après la mort de son épouse, symbolise à cet égard la version radicale de l’immigrée muette et solitaire. Perçue comme « une sorte de zombie »,  c’est un être en marge, apparemment dépassé par la réalité qui l’entoure.
Son contraire s’incarne dans le personnage de Lelia, la femme d’Henry. Véritable contrepoids culturel, elle est l’emblème WASP du roman, « l’autochtone » qui se distingue par son teint diaphane, son franc-parler ou encore son élocution irréprochable. La « fine déesse anglicane » parvient même à séduire Park senior, initialement rétif aux mariages mixtes : « Dès que se présentait l’occasion, il se postait à côté d’elle, afin de vanter sa haute taille et sa posture parfaite , comme une belle pouliche, disait-il, admiratif en coréen. » Il suffirait de peu de choses pour qu’elle n’apparaisse comme le sésame de la famille Park, l’assurance d’une intronisation officielle dans cette Amérique blanche convoitée et fantasmée par les immigrés.
Toutefois, le sentiment d’être un américain à part entière ne repose pas sur un tel artifice. Les tensions qui colorent la relation entre les deux conjoints révèlent ainsi des différences culturelles très profondes. Si Henry représente, parfois jusqu’à la caricature, l’oriental froid et réservé, Lelia, quant à elle, est l’archétype de l’américaine loquace et directe : « (…) cette façon de ne rien pouvoir cacher, d’avoir l’air vexé quand elle était vexée, heureux quand elle était heureuse. Qui me permet de savoir à tout moment exactement où elle en est. »  Son irritation grandissante face à l’impassibilité de son mari illustre à l’évidence le point de vue de la classe moyenne blanche américaine. Prise entre deux feux culturels, l’identité d’Henry est en suspens. Cette confusion intérieure se manifeste notamment dans sa manière de s’exprimer en anglais, lui qui est pourtant né sur le sol américain et y a toujours vécu : « Mais je m’entends toujours faire des écarts quand je parle, fondre une langue dans l’autre – ou les faire exploser – car il y a tellement de frottements et de friction que le feu menace toujours entre deux langues. » La diction parfois hasardeuse du narrateur contraste avec la virtuosité langagière de sa femme, orthophoniste de son état, et par conséquent grande prêtresse de l’idiome américain le plus authentique. Mitt, le fils métisse, incarne à ce propos la synthèse harmonieuse de ses parents : « Il était capable d’imiter les modulations les plus infimes de notre anglais et de notre coréen, ces musiques qui disaient qui nous étions. »
Car la langue est au cœur du roman. Expression directe de soi, elle est médium naturel chez le locuteur natif, obstacle cruel chez l’immigré : « J ’étais envahi par la honte et la colère chaque fois que j’entendais les sons bizarres que produisaient mon père et ses employés, leur anglais de métèques, l’espingliche, le chingliche le dialecte des rues. » D’ailleurs, le choix de New York et de ses alentours comme lieu principal de l’action n’est pas anodin. La Grosse Pomme symbolise en effet depuis toujours la Terre Promise des immigrants. Les langues et les accents les plus divers s’entremêlent en son sein. Une tour de Babel des temps modernes en quelque sorte.
C’est donc un narrateur désorienté qui se révèle au lecteur. Au gré des réminiscences, l’évocation d’un drame familial apporte un éclairage supplémentaire sur les épreuves auxquelles il est confronté. Sa quête identitaire se heurte progressivement aux exigences de son métier. John Kwang est un politicien coréen-américain qui brigue la mairie de New York. Il est aussi et surtout la nouvelle cible de notre héros, une cible trop familière et trop séduisante pour que la mission s’avère sans péril.  Ruminant des souvenirs souvent douloureux et faisant face à un présent aux enjeux multiples, Henry se doit de trouver enfin sa juste place dans le maelström de sa vie.
Ce premier opus de Chang-rae Lee explore avec force et sensibilité l’expérience de l’immigration. A travers les tribulations d’un coréen-américain à New York, le roman distille la saveur amère de la discrimination raciale, de l’isolement et du sentiment d’infériorité. Miroir fictif de la réalité du melting-pot,  Langue natale témoigne de la difficulté à se définir quand on est et demeure l’Autre, cet anonyme venu d’ailleurs, aux yeux de la majorité dominante.

Langue natale, L’Olivier, 2003, traduit de l’anglais par Lazare Bitoun.

sankyo
Chang-rae Lee a trois ans lorsque sa famille quitte la Corée du Sud pour venir s’installer aux Etats-Unis en 1968. Il fait de brillantes études à Phillips Exeter et à Yale. Après une brève incursion dans le monde de la finance, il décide de se consacrer à l’écriture à la mort de sa mère. Il est à ce jour l’auteur de trois romans : Langue natale (Native speaker), Les sombres feux du passé (A gesture life) et Le ciel de Long Island (Aloft). Ainsi qu’il le dit lui-même, son œuvre s’attache à «analyser ce double sentiment de citoyenneté et d’exil, mettre en scène l’existence des expatriés, avec son cortège de complications, de douleurs et de joies. »


SeoulParis en images

Follow me on Twitter

Bookmark and Share
Creative Commons License
Cette création est mise à disposition sous un contrat Creative Commons.