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Soirée coréenne

J’étais convié à une “Soirée coréenne” à l’occasion de la venue du Premier Ministre coréen à Paris le 25 juin dernier. Au risque d’être taxé d’ingrat vis-à-vis de ceux qui ont pensé à me mettre dans la liste des heureux conviés à ce dîner, je ne résiste pas à l’envie de vous en dire quelques mots.

Jack's keynote speech

Une soirée coréenne donc, pour contribuer à l’amélioration de l’image du Pays du Matin Calme à l’étranger. Parce que ça les énerve les Coréens que malgré tous les miracles accomplis, économique, démocratique ou même culturel, leur pays souffre d’un déficit d’image. Du coup, cette visite du Premier Ministre était une bonne occasion pour organiser un événement inoubliable: un dîner de dégustation de gastronomie coréenne “contemporaine” mariée avec une sélection de vins de nos terroirs français dans la salle d’honneur de l’Intercontinental Hotel de Paris offert par le Premier Ministre. En prime également, un récital privé de ce que la Corée fait de mieux en musique classique, la soprano Jo Sumi et le pianiste Kim Sunwook.

Pour être tout à fait honnête, j’avoue que je doute de l’utilité de ce genre d’événements dans l’absolu. Mais qu’importe les tribulations d’un modeste blogueur. Tout ceci sert une cause qui nous dépasse de loin: celle de faire découvrir la Corée à tout ce que la France compte de leaders d’opinions, qui eux-même, convaincus de l’excellence de la Corée, s’empresseraient de porter la bonne parole autour d’eux.

Petite revue de détail pour voir si cette soirée coréenne a répondu aux attentes.

Ce qu’on a mangé

Il paraît que le chef cuisinier de l’Intercontinental Hotel de Séoul s’était déplacé exprès pour nous préparer le meilleur de la gastronomie du Matin Calme. Il aurait pu rester chez lui et on aurait fait appel à n’importe quel cuistot d’un restaurant coréen à Paris parce que le menu était aussi lyrique que la bouffe sans intérêt: le japchae fadasse, la saint-jacques microscopique, le galbi chim sec… Nous vous épargnerons ici la liste de tous les mets médiocres qu’il nous a été donné de subir lors de cet interminable dîner, seul le consommé d’épinards au doenjang relevait quelque peu la qualité de l’ensemble. Ah si, mentionnons quand même le service irréprochable de précision dans l’explication des plats : “Qu’est-ce que c’est? Ben, euh… une soupe avec un p’tit ravioli dedans”, des fois qu’on aurait confondu avec des moules frites…

Ce qu’on a bu

Mais quelle idée de toujours vouloir marier vin et gastronomie coréenne! Est-ce que les Coréens pourront un jour abandonner l’idée ridicule que réussir à accorder leur gastronomie avec du vin serait une sorte de titre de noblesse ? La nourriture coréenne est avant tout paysanne, simple, authentique, faite de bons produits, bref sans chichi et elle devrait s’assumer comme telle. Surtout manger coréen, c’est manger épicé: l’ail se mange cru, le piment cru se mange trempé dans une sauce elle-même pimentée pour en relever le goût, le chou est fermenté puis pimenté et relevé à la crevette saumurée… Quelqu’un peut-il me dire comment un palais ainsi anesthésié pourrait distinguer les notes de sous-bois d’un vieux Bourgogne? N’y a-t-il pas une raison à ce que les Coréens boivent du soju, cette version soft de la vodka comme accompagnement de leurs plats?  Mais rassurez-vous, nous n’avons pas eu à nous désoler du gâchis de devoir sacrifier un vieux Bourgogne entre deux portions de Kimchi. Pour tout vous dire, je ne sais même plus ce qu’on a bu, juste que l’une des bouteilles était bouchonnée et que deux vieilles dames assises en face de moi, vexées de n’avoir pas su le remarquer ont fini leur verre en maintenant que “non, le mien n’était pas bouchonné!”

Discours

Oui, parce qu’un tel événement ne peut pas se concevoir sans une succession de discours longs (surtout s’ils sont entrecoupés de traductions) et fadasses. Je dois dire qu’un moment n’a pas été fadasse: celui ou le Premier Ministre a exprimé ses remerciements à l’Intercontinental Hotel pour les avoir accueillis comme “invités payants”: est-ce de l’humour amer ou un souci superflu du  détail? Est-il sérieusement vexé qu’on ait pu faire payer une chambre d’hotel à lui, Premier ministre de la Corée, comme à n’importe quel membre de la populace? Pour le reste on notera le discours d’un autre Coréen sûrement très important mais dont j’ai oublié le nom et les fonctions et dont personne n’a su dire s’il parlait en français ou en coréen. Et puis comment omettre le discours (mais trois lignes improvisées à la dernière minute, est-ce bien sage d’appeler ça un discours?) de Jack Lang, dont je cite ici le passage le plus marquant:

“Cinqiou cinquiou cinquiou!”

Bonus

Je ne parle pas de la conclusion musicale, seule partie du programme qui n’a pas déçu (quoiqu’apparemment le Premier Ministre n’était pas non plus subjugué, vu qu’il en a profité pour dormir). Par bonus je parle de cette délectable demi-heure passée à visionner sur grand écran des films de promotion des différentes merveilles de la Corée sur le thème “la nourriture coréenne est diététique, même que c’est un médecin américain qui l’a dit”, ou “la Corée c’est hyper moderne, même que dans le film y’a plein de figurants en blouse blanche qui ont l’air de faire plein de trucs hyper compliqués”, et surtout le message-clé:  “les Coréens, ils sont hyper beaux et hyper heureux, comme sur ces images où la Coréenne, elle te fait un sourire tellement figé qu’on en a mal à la mâchoire pour elle. Alors il faut vite y aller pour y investir plein de doll… plein d’euros”  Que dire de cette propagande en son et image digne de l’Union Soviétique de l’après-guerre? Que si je n’avais pas été occupé à éprouver un sentiment mêlé de honte et de soulagement de n’avoir pas entraîné mon patron dans cette soirée, j’aurais été comme tous mes voisins de table, occupés à explorer les limites de l’ennui.

Leaders d’opinion

Souvenez-vous de l’objectif de cette soirée: améliorer l’image de la Corée auprès des leaders d’opinion français. Alors où étaient-ils ces VIP ?  Parce qu’autour de moi, en dehors de diplomates étrangers détachés à l’OCDE et qui faisaient sûrement office de bouche-trous (parce que le Premier Ministre était en France dans le cadre de l’OCDE dont le siège est à Paris), il y avait une artiste coréenne et deux épouses de cadres sup sûrement retraités qui un jour ont dû être expatriés en Corée. Bien sûr au loin il y avait Jack Lang, qui nous a fait l’honneur de trois minutes de présence, de trois échanges avec sa voisine de table d’un instant (l’épouse du Premier ministre), et d’à peine trois mots à l’assemblée (cinqiou, cinqiou, cinqiou).

Bon, ok, il y avait Christian de Boissieu, mais tous ces VIP qui sont censés porter la bonne parole coréenne? Les décideurs politiques, les patrons du CAC 40, les journalistes influents, les intellectuels, les artistes? Ils étaient où?? Ben au travail, ou chez eux, ou ailleurs à faire autre chose de nettement plus intéressant. Quoi de plus normal en plein remaniement ministériel? Quoi de plus normal à 19h? Quoi de plus normal quand tout ce qu’on leur propose c’est un dîner à peine meilleur qu’un buffet de mariage, une projection publicitaire passéiste interminable, et un récital de musique certes attirant pour vous et moi, mais sans intérêt pour qui fréquente régulièrement les premiers rangs de l’Opéra Garnier, de la Scala, ou du Carnegie Hall? Quel bénéfice pour ces “VIP” là? Aucun, néant, nada.

C’est pourtant par ce genre d’opération que la Corée aspire à bâtir son soft power. Surtout la partie soft alors…

yonggook


SeoulParis en images

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