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ROH Moo-Hyun, 1946 – 2009

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L’ex Président sud-coréen (2003 à 2008) Roh Moo-hyun s’est donné la mort ce matin vers 6h heure locale. Il a sauté d’une falaise jonchée sur le mont Bonghwa, dans son fief, juste derrière la maison où il s’était installé après avoir quitté ses fonctions.

Avocat autodidacte défenseur des droits de l’homme
Roh Moo-hyun est né en 1946 d’une famille d’agriculteurs modestes près de Busan. Dans un pays où le culte des diplômes est ancré dans l’ADN de chacun et où le passage par une université prestigieuse est le seul sésame pour la reconnaissance sociale, le parcours académique de Roh s’arrête au lycée. Après quelques petits boulots et le service militaire, il étudie seul et passe le Barreau coréen avec succès en 1975.

Dans un pays où la dictature militaire tient fermement les rênes du pouvoir, Roh devient rapidement un avocat défenseur des droits de l’homme et assure la défense d’étudiants militant contre le régime en place. Il participe activement au soulèvement étudiant, puis populaire de 1987 qui mettra un terme à la dictature. Il lance par la même sa carrière politique et émerge avec l’appui de « la génération 386 » : celle qui est dans la trentaine dans les années 90, qui a participé au soulèvement pro-démocratique étudiant des années 80 et qui est née dans les années 60.

Le premier Président web2.0
Sans beaucoup d’expérience du pouvoir, Roh se présente aux élections présidentielles de 2002. Il doit affronter un candidat conservateur chevronné que tous les sondages donnent vainqueur jusqu’à la veille des élections et que tous les grands médias, traditionnellement conservateurs, soutiennent outrageusement.

Les partisans de Roh, dont la plupart ont grandi avec l’émergence des technologies numériques s’emparent alors du web comme outil de campagne. Dans un « PC bang » (internet café) de Taejon, ville de province, quelques partisans de Roh créent Nosamo : le premier réseau social politique en ligne où les « netizens » se rassemblent, débattent, s’organisent pour la victoire de leur candidat. Nosamo.org grandit avec son candidat et accueille progressivement des figures politiques majeures et célébrités.

Sur le front des médias, de nombreux progressistes, frustrés de ne pas voir leurs opinions relayées par les médias traditionnels s’emparent d’Internet comme espace d’expression et de débat. Parmi eux, OH Yeon-ho est persuadé qu’Internet peut créer une nouvelle forme de journalisme en permettant à tout citoyen de s’exprimer auprès du plus grand nombre. Il crée OhmyNews le pionnier du journalisme participatif. Ohmynews est l’un des rares soutiens à Roh dans le paysage médiatique coréen, et par conséquent la bête noire des quotidiens traditionnels.

Alors que personne ne l’attendait, Roh Moo-hyun sort vainqueur des élections de 2002. Il doit sa victoire à une mobilisation sans précédent de la génération Internet qui a su aller voter en masse, grâce à une campagne de communication sans précédent sur Internet et par SMS. Le président élu reconnaissant accordera son premier entretien à Ohmynews.

Un mandat mitigé
L’administration de Roh manque d’expérience et tâtonne. Le président est critiqué, dénigré pour n’avoir pas fait l’université, raillé pour son franc-parler, sa spontanéité et quelques bourdes indignes de la fonction suprême. En politique intérieure, il veut casser le régionalisme qui gangrène les processus électoraux et va même jusqu’à proposer une alliance des deux grands partis politiques pour y parvenir mais sans succès. Sur le plan économique, la Corée de Roh jouit d’une croissance annuelle avoisinant les 6% et un chômage aux alentours de 3%. Mais les inégalités sociales se creusent et les plus modestes sont déçus par sa politique sociale, notamment une réforme pour rendre plus flexible le marché du travail. Enfin, vis-à-vis de la Corée du Nord, Roh continue la politique de main tendue initiée par son prédécesseur Kim Dae-jung (Sunshine policy), mais dont les bénéfices sont limités par l’Axe du mal de l’administration Bush.

Roh quitte ses fonctions sur un bilan mitigé et dans l’impopularité générale : les électeurs souffrent de plus en plus des difficultés du quotidien et élisent le conservateur Lee Myung-bak qui promet de se concentrer sur l’économie du pays et de défaire tout ce que son prédécesseur a accompli.

La revanche des conservateurs
Roh a déçu, mais l’opinion publique lui accorde un crédit, celui d’avoir été fidèle à son principe le plus cher d’être un Président sincère et honnête ; « propre » dans un système politique où la corruption est présente à tous les niveaux, mainte fois combattue, sans cesse de retour.

Mais peut-être pas aussi propre que ça : en décembre 2008, le grand-frère de Roh est inculpé dans une affaire de corruption. Puis, c’est au tour de son épouse d’être inquiétée. Au centre de cette affaire, un patron de PME qui aurait « arrosé » toute la classe politique de ses largesses. L’épouse de Roh est soupçonnée d’avoir reçu 6 millions de dollars.

Roh nie être directement impliqué, mais le mal est fait. Les médias traditionnels qui le haïssent depuis la première heure s’emparent de l’affaire pour en faire leurs choux gras. Le camp des conservateurs se réjouit de voir ce champion de la probité sali de la sorte et sont sans pitié dans leurs attaques contre l’homme blessé.

Car l’homme est blessé, atteint au plus profond de son âme pour n’avoir pas su être à la hauteur des valeurs qu’il défend depuis toujours. Directement coupable ou pas, il se sent responsable de cet immense gâchis : il s’est aliéné. Le 29 avril 2009 : il écrit sur son site web à l’attention de ses supporters : « Je ne symbolise plus les valeurs que vous poursuivez. Je ne suis plus qualifié pour parler au nom de valeurs telles que la démocratie, le progrès ou la justice. (…) Vous devriez maintenant vous éloigner de moi. »

« La vie et la mort ne font-ils pas qu’un ? »

Depuis que des membres de sa famille avaient été inculpés dans une affaire de corruption, Roh ne pouvait plus sortir aussi librement faire les randonnées qu’il affectionnait dans les montagnes avoisinantes. Ou alors très tôt comme ce matin du 23 mai à 5h pour éviter les journalistes.

Le quotidien Hankyoreh rapporte qu’arrivé au rocher Boowangy haut de 15 m, Roh aurait demandé une cigarette à son garde du corps et seul témoin de la scène. N’en ayant pas, le garde du corps se serait proposé d’aller en chercher. Roh aurait décliné l’offre et détourné son attention vers d’autres passants. Puis il aurait sauté dans le vide.

C’est comme ça que les gens au bord du désespoir partent : ils détournent l’attention ailleurs et ils en profitent pour s’effacer. Parce qu’ils souffrent trop et de tout : d’eux-mêmes, des autres qu’ils aiment tant et qu’ils ont l’impression de faire souffrir. Finalement, le monde sans eux est bien mieux, doivent-ils se dire. Roh Moo-hyun laisse une note à l’attention de ses proches :

« J’imagine mal les innombrables souffrances à venir. Le reste de ma vie ne serait qu’un fardeau pour les autres. Je ne suis plus capable de rien à cause de ma santé. Je ne lis plus, je n’écris plus.

Ne soyez pas trop tristes, la vie et la mort ne font-ils pas qu’un ? Ne me pleurez pas, et n’en voulez à personne. C’est le destin. Incinérez-moi. Et faites une petite stèle près de la maison. J’y ai pensé depuis longtemps. »

Cette nuit à Seoul, les citoyens rendent hommage à Roh dans une ambiance de recueillement gâchée par une forte présence policière.


yonggook


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