C’est la rentrée pour SeoulParis et afin de bien commencer, nous vous offrons avec l’accord de son auteur une traduction d’un édito paru cet été dans la rubrique IT du quotidien coréen progressiste Hankyoreh. Le chroniqueur Koo Bon-kwon s’y inquiète de la tendance à l’isolement du secteur IT coréen.
Le phénomène « Galapagos »est une crainte grandissante parmi les opérateurs télécoms et les acteurs de l’Internet.
Du fait de leur évolution isolée, les 16 îles qui composent l’Archipel des Galápagos au large des côtes de l’Equateur étaient un trésor pour les biologistes. Mais dès qu’on y introduisit de la faune étrangère, celle-ci eut vite fait d’exterminer un grand nombre d’espèces locales. Il semble que de nombreuses entreprises du secteur IT connaissent le même sort que tant d’espèces des îles Galápagos.
Aujourd’hui, les téléphones portables japonais sont pratiquement absents du marché international. Il est loin le temps où les Japonais affirmaient avec fierté : « ce qui marche au Japon marche partout ailleurs ». Récemment, le New York Times publiait un article expliquant les raisons de l’échec des fabricants de téléphones portables japonais à l’international. Très tôt, le Japon a produit les téléphones portables les plus performants. Forts d’un marché intérieur solide et d’une excellente expertise, huit fabricants locaux dont Panasonic, Sharp ou encore NEC se sont livrés une concurrence effrénée à coup d’innovations technologiques. L’email mobile en 1999, la fonction appareil photo en 2000, le téléchargement de musique sur mobile en 2002, le paiement mobile en 2004, la TV sur mobile en 2005, autant d’avancées technologiques où le Japon a été précurseur. Certes Sony, grâce à son joint-venture avec le Suédois Ericsson en 2000 fait partie du global big 5 des fabricants de téléphones mobiles, mais il est maintenant derrière Samsung, LG ou Motorola et a connu des pertes significatives cette année. En adoptant un mode de développement exclusif et propriétaire basé sur un hardware de bonne qualité mais une interface utilisateur moins évoluée, le Japon s’est coupé du marché mondial.
La France d’aujourd’hui est connue pour son environnement peu propice à l’Internet. Pourtant, durant les années 80, ce pays était le plus avancé au monde en matière de technologie de l’information avec un réseau IT dédié et des terminaux équipant 6 millions de foyers. Ce « Minitel » permettait la recherche d’informations en même temps qu’il était un outil de communication moderne: messages textes bien sûr mais également jeux, messagerie instantanée, shopping à distance, réservation de billets et transactions bancaires furent possibles bien avant tous les autres pays.
Lorsqu’à l’approche du 21ème siècle, les pays adoptent l’Internet, la France continue à privilégier le Minitel. Dans les années 90, alors que le PC et l’Internet se généralisent, une nouvelle version du Minitel permettant la connexion Internet voit certes le jour, mais les services qui sont mis en avant restent ceux du réseau local français. Avec les années 2000, le PC remplace le Minitel dans tous les foyers. Aujourd’hui, la France est en retrait par rapport à ses voisins en matière de contenu Internet et rares sont les entreprises françaises capables de rivaliser avec les géants mondiaux de l’Internet.
Cette année, les ventes de téléphones portables de Samsung et LG font preuve de performances remarquables, contrairement à leurs concurrents Nokia, Motorola ou Sony Ericsson. Mais loin du succès des fabricants de téléphones portables coréens, les opérateurs télécoms locaux sont d’humeur bien morose.
Alors qu’avec l’avènement de la 3G les opérateurs télécoms des pays industrialisés connaissent une croissance de leur chiffre d’affaire data (MMS, Internet mobile), les opérateurs coréens connaissent eux une baisse de leur chiffre d’affaire data alors que celui provenant des appels vocaux augmente. L’utilisateur de l’Internet mobile coréen s’isole progressivement sous le coup de tarifs trop élevés et d’un Internet mobile cloisonné, si bien qu’en dehors des jeux, les éditeurs de contenus locaux perdent en compétitivité.
Même si en avril dernier, la Corée a levé l’obligation pour les mobiles d’être compatibles avec le standard local WIPI pour l’accès à l’Internet mobile, les restrictions et les contraintes restent nombreuses pour les fabricants de mobiles étrangers. Le Nokia 6210 ‘Navigator phone’ a dû ainsi être commercialisé sans sa fonction GPS en Corée en raison de restrictions réglementaires.
![iPhone vs Specimen local la Corée reste l'un des derniers pays développé où l'iPhone n'est pas encore commercialisé](https://morningcalmfever.wordpress.com/wp-content/uploads/2009/09/p9122025.jpg?w=500&h=375)
la Corée reste l'un des derniers pays développés où l'iPhone n'est pas encore commercialisé
L’état d’isolement du web coréen est encore plus dramatique. Microsoft occupe 98 à 99% de part de marché des systèmes d’exploitation et des navigateurs web, sans parler des systèmes de certifications de nombreux services qui passent exclusivement par ActiveX. La politique de contrôle de l’Internet qui s’est renforcée avec l’arrivée du gouvernement de Lee Myung-bak accélère la création d’un « Internet version coréenne » très éloigné des standards internationaux. Suppression de l’anonymat, riposte graduée pour protéger les droits d’auteur, lutte contre la cyber-diffamation, obligation pour les portails de surveiller l’activité des internautes : autant de propositions de réglementation inimaginables dans n’importe quel autre pays développé. Le phénomène « Galapagos » coréen n’a ainsi aucun lien avec l’isolement géographique, plutôt avec l’environnement Internet local qui pose aux entreprises une crise existentielle. Huh Jin-ho, président de l’Association des Entreprises Coréennes de l’Internet déclarait récemment que « les entreprises de son secteur commençaient également à subir le phénomène Galapagos », mais que le plus inquiétant était que « le gouvernement et toutes les entreprises subissaient le même phénomène sans s’en rendre compte, plongés dans l’illusion d’être toujours une puissance de l’Internet et du mobile ».
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