En Coréen, Google se dit Naver

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Devinette: laquelle des deux Corées pourrait-elle être appelée le pays où Google n’existe pas ? Réponse: les deux. Si pour le Nord, l’explication est simple (Internet n’existe pas), le phénomène est bien plus étrange pour son frère ennemi, qui est l’un des pays les plus connectés au monde.

wifi @ Starbucks brought to you by GoogleBien sûr, Google est accessible en Corée du Sud. Il existe d’ailleurs une version coréenne du moteur de recherche leader au niveau mondial. Mais voilà: en Corée 7% des recherches se font sur Google, et plus de 62%  sur Naver (source Comscore). Rien de grave pour Google, me direz-vous, qui se taille la part du lion dans à peu près tout les marchés qui comptent. Sauf qu’être autant à la traîne en Corée, c’est risquer de paraître inadapté aux besoins et attentes de 50 millions de pionniers dans les pratiques numériques. Ca n’est d’ailleurs peut-être pas un hasard si la Corée est l’un des rares pays pour lesquels Google alloue un budget de communication : un bus – show room aux couleurs de Google sillonnait ainsi les campus des universités coréennes en 2007, tandis que dans les Starbucks Coffee, la connexion wifi est offerte gratuitement par Google.

Mais intéressons nous plutôt à Naver.

naver

Naver est un portail coréen crée en 1999 et qui fusionne avec un Hangame portail de casual gaming pour créer NHN Corp. (Next Human Network). A cette époque, le paysage web coréen est déjà assez rempli d’acteurs solidement établis tels que Daum ou Yahoo! Korea. En terme de contenu, le web coréen de cette époque se distingue en deux points: il regorge déjà de contenus multimédias riches professionnels ou amateurs, et il fonctionne en quasi autarcie sous l’effet de la langue et de l’alphabet exclusifs aux Coréens. Ces deux points vont procurer à Naver un environnement propice pour s’attirer en quelques années les faveurs de la majorité des Coréens grâce à deux choix payants, au premier rang desquels un système de recherche innovant pour l’époque que Naver appelle la recherche “agrégée” (통합 검색).

La recherche agrégée : grâce au ‘Multi-ranking system’

Cette recherche agrégée est basée sur le principe qu’une recherche est plus efficace si elle traite distinctement chaque contenu en fonction de sa nature (texte, image, vidéo, document téléchargeable, post de forum de discussions, etc.)

Pour mettre en application ce principe, Naver référence constamment le web coréen pour constituer non pas une, mais autant de bases de données que de types de contenu. En langage Naver, ces bases de données s’appellent des “collections” : collection d’images, collection d’articles de presse en ligne, collection de discussions de forums, avec pour chaque collection une règle de pertinence (ranking system) propre. Ainsi, chaque requête d’un internaute se traduit en autant de sous-requêtes sur chacune des “collections”, puis une page de résultats agrégeant les résultats de ces sous-requêtes.

Le blog officiel de NHN fournit un schéma (en coréen) du multiranking system et illustre l’avantage de ce multiranking system par l’exemple de la page de résultats de la requête “Roger Federer”: elle mettrait en valeur le parcours de Roger à Wimbledon dans la catégorie News, le site officiel de Roger dans la catégorie sites web, un comparatif entre Sampras et Roger dans la catégorie blogs, une biographie de Roger dans la catégorie encyclopédie, etc.

Forcément, ce principe parait banal aujourd’hui mais en 1999, alors que partout ailleurs qu’en Corée le web n’est que du contenu institutionnel ou commercial en textes et images, il ne s’imposait pas de manière évidente. D’ailleurs, Google ne lance son offre de “recherche universelle” (Universal search), basée sur le même principe qu’en 2007.

“One-stop surfing”

Naver, c’est un peu un Yahoo! qui aurait continué à dominer ses concurrents de la tête et des pieds. Car au début, les deux portails présentent les mêmes caractéristiques: un moteur de recherche propriétaire, des outils en ligne et un contenu éditorial propriétaire au travers de partenariats avec des éditeurs. Mais contrairement à Yahoo! les outils et services que propose Naver – sûrement parce qu’il se concentre sur la population spécifique des internautes coréens – réussissent à attirer toujours plus d’internautes.

Parmi ses services, le plus emblématique est certainement Jisik iN (지식iN). Lancé en 2002, Jisik iN est un service de partage d’informations permettant à n’importe quel internaute de poser une question sur n’importe quel sujet, souvent de la vie courante (recette de cuisine, bricolage, conseils pratiques, etc.), à laquelle n’importe quel autre internaute peut répondre. Comment savoir si une réponse est fiable ou pas? Par la sagesse collective : Jisik iN propose un système d’évaluation qui permet à chaque réponse d’un internaute d’être notée par ses pairs, de sorte que plus les réponses d’un internaute sur un sujet en particulier sont appréciées, plus son expertise est reconnue et valorisée par la communauté: l’essence même du “user generated content”, ou UCC (user created content) comme le disent les Coréens, qui fera le succès du web2.0 quelques années après. Yahoo! Answers qui s’inspire de Jisik iN sera lancé trois ans plus tard.

Début 2008, Jisik iN contient plus de 80 millions de pages d’UCC, mais Jisik iN n’explique pas à lui seul pourquoi Naver capte avec autant d’efficacité l’internaute coréen. A côté de ce service emblématique et pionnier, Naver propose tout ce qu’il faut pour un ‘one-stop surfing’: une section actualité exhaustive, la première plateforme de blogs de Corée en taille, des forums de discussion en veux-tu en voilà… Pour résumer, alors qu’on vient à Google pour faire une recherche et repartir aussi vite en cliquant sur un lien trouvé, on vient à Naver pour y rester parce que le portail a réussi à proposer progressivement toute une panoplie d’offres correspondant aux attentes et besoins de l’internaute coréen.

“Walled garden” de plus en plus contesté

Avec un chiffre d’affaires de 660 millions de dollars pour 2008 et plus de 30 millions de visiteurs uniques par mois en moyenne, Naver est dans une situation enviable mais dont le succès insolent le met au centre des attaques. Son modèle et ses pratiques sont scrutés et font l’objet de critiques, au premier rang desquelles le fait de prospérer en circuit fermé. Car Naver est effectivement un “walled garden”, que certains pourraient être tentés de comparer à un AOL à ses débuts.

Les premiers à s’en plaindre furent les sites de médias car imaginez un instant qu’en France, Google Actualités, grâce à un accord de syndication extrêmement favorable, se contente de reprendre sur son site les articles de Libération ou Le Monde au lieu de n’en publier qu’un court extrait et de renvoyer les internautes vers liberation.fr ou lemonde.fr. Ce qui parait impensable en France était la règle que Naver imposait aux sites de news coréens jusqu’en 2008, où il s’est résolu à renvoyer du trafic vers les sites tiers et calmer la frustration des médias.

L’ouverture nécessaire?

Alors que les écosystèmes numériques évoluent vers plus d’ouverture et de partage, que l’open source ou le crowd sourcing émergent comme des composantes majeures de l’innovation, le Naver-addict peut un jour réaliser qu’il est déconnecté du reste du web, qu’il reste à l’écart des dernières innovations, des meilleurs services, bref, des pratiques numériques de demain.

Les récentes évolutions de Naver montrent qu’il semble comprendre que son modèle doit changer : en janvier 2009, il lance “Opencast“, un service qui permet à tout internaute d’agréger tout contenu interne ou externe à Naver, professionnel ou amateur et créer son propre flux d’informations. Naver permet ainsi à chaque “Opencaster” de devenir agrégateur d’information, ou à l’inverse de personnaliser sa page d’accueil en recevant les flux d’autre opencasters.

En suivant cette voie, Naver deviendrait un hub de flux plus qu’un opérateur de services propriétaires certes de qualité, mais fonctionnant en circuit-fermé.

S’ouvrir pour évoluer ou se fermer pour se protéger? Un dilemme transposable en l’état à l’échelle de la Corée.

yonggook

1 Response to “En Coréen, Google se dit Naver”


  1. 1 David June 29, 2009 at 10:51 pm

    Merci pour cet article.
    En français, ils sont rares sur les spécificités du Web Corée

    Et Google n’est le seul acteur majeur de l’Internet a avoir des difficultés en Corée. Youtube est aussi très minoritaire (cela dit, il appartiens a Google). J’ai aussi lu que Myspace avait récemment jeté l’éponge. Les reseaux sociaux comme Facebook ou Flickr ne sont pas non plus très utilisés par les coréens. En revanche, il semble que Yahoo se soit plutôt bien implanté.


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